LETTRE A PERSEPHONE
Mon Coeur
Je crois que cette lettre écrite il y a plusieurs mois n'arrivera jamais entre tes mains alors je la jette au vent...
Te souviens tu, Perséphone ? Te souviens tu de mon désespoir quand je
te laissais partir tous les soirs chez toi sans te demander de rester
dans mon repère? Te souviens tu de mon désespoir de rester seul dans
cette ville sans vie puisque sans toi ? Te souviens tu, Perséphone, de
ma souffrance quand je te voyais rire dans les bras des autres dieux ?
Moi qui aurait sacrifié mon royaume des ombres pour t’avoir une seule
fois à moi ? Tu ne dois pas t’en souvenir car tu ne me savais pas
t’aimant à ce point. Je ne te le disais pas. Je croyais que cet amour
qui prenait toute mon âme déborderait de moi et que tu finirais par me
dire que tu l’avais reconnu et que tu allais me suivre. Quelle naïveté
ont donc les amoureux!
Saches que je ne t’en ai jamais voulu et
que je ne t’en veux toujours pas : comment le pourrais je? Même si rien
n’a changé et même si rien ne change demain. Il y a bien longtemps que
ma raison s’est transformée en désespoir. Pas quelque chose qui tue,
non, c’est comme une maladie orpheline qui s’appellerait la vie sans
toi.
Bien sûr moi aussi j’ai éclaté de rire dans les bras
d’autres déesses. Moi aussi j’en ai aimé d’autres mais en pensant
toujours à toi, comme à un sentiment de référence, comme si c’était à
l’aune de cet amour que je mesurais tous les autres et tu as toujours
fait partie de mes rêves.
Et après plus de trente ans je me
disais que cet Amour s’était évanoui. Et quand tu m’as fait signe, il y
a quelques semaines, j’étais heureux à l’idée de te revoir et sûr que
ce sentiment s’était transformé en un délicat mélange de tendresse et
d’amitié. Mais cet Amour que je croyais éteint était tapi en moi, comme
un loup affamé, prêt à bondir de sa tanière à ton passage. Au bout de
quelques échanges il est sorti de son long sommeil comme ces dragons
des légendes anciennes et maintenant il me brûle et le corps et
l’esprit. Oui je t’aime puisqu’il faut dire les mots et si par malheur
tu venais à disparaître demain j’en serai désespéré mais je continuerai
de t’aimer car je sais aujourd’hui que je t’aime pour la durée de ma
vie et non pour la durée de la tienne.
Ne sois pas inquiète,
Perséphone, cet Amour ne viendra pas bousculer ton univers. Je t’en
parle aujourd’hui parce qu’il occupe toute mon âme et que depuis nos
retrouvailles tu es partout mais je vais lui faire entendre raison, je
vais lui expliquer que la seule façon de te garder c’est de te
conserver pour amie et il comprendra, même s’il continue à me faire mal
car l’amour est toujours douloureux. Et je ne t’en reparlerai plus
jamais, tu sauras seulement que je porte toujours en moi cette
espérance folle de partager un jour ton quotidien. Au moment où j’écris
ces lignes, je repense à quatre vers d’Aragon
C’est un rêve modeste et fou
Il aurait mieux valu le taire
Vous me mettrez avec en terre
Comme une étoile au fond d’un trou.
C’est
un idéal bien simple que le mien : te préparer le café le matin, être à
tes côtés. Je pourrais même vivre près de toi sans jamais te toucher,
juste te regarder dormir, écouter ton souffle régulier et ton petit
reniflement de chaton que je suis le seul à entendre et je me
contenterai comme disait le chanteur qui mourut jeune « d’être l’ombre
de ton ombre, l’ombre de ta main, l’ombre de ton chien ».
J’espère
que toi aussi tu comprendras et que je ne te perdrai pas encore une
fois parce que je t’ai dit « je t’aime ». A vingt ans c’est vrai qu’on
tombe amoureux sans se poser de question. Moi je portai ce sentiment
comme un drapeau, une certitude et j’en ai pas eu beaucoup dans ma vie
et, heureusement ou malheureusement pour moi, je ne sais, je ne me suis
pas trompé.
Et là, parce que je t’ai retrouvée, j’ai,
encore, la naïveté de nourrir quelques espoirs. Oh de tous petits
espoirs. Te revoir, te prendre la main, effleurer tes cheveux,
peut-être te serrer dans mes bras, peut-être même t’embrasser –au moins
le jour de nos retrouvailles-, sentir l’odeur de ta peau : des petits
bonheurs tu vois, puisque je sais depuis longtemps qu’il n’y a que çà
sur terre et que c’est leur addition qui fait la vie supportable.
Dans un de nos premiers échanges , tu m’a dis que tant qu’on était vivant rien n’était définitif. Alors je suis vivant.
Pendant
toutes ces années, j’ai traversé, comme chacun ici bas, des moments
très sombres et « c’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière
». Tu as souvent été cette lumière sans jamais le savoir.